Le recours à l’assistance sociale se fait souvent dans un contexte de crise, marqué par un haut niveau de détresse et des conditions de vie difficiles. Faire valoir son droit à un niveau de vie décent s’apparente à un énorme casse-tête impliquant des traitements culpabilisants et humiliants.
Le casse-tête des programmes
Ces histoires de vie, fictives mais inspirées de cas réels, montrent le casse-tête à résoudre pour correspondre aux critères des programmes d’assistance sociale.
Sylvia dissimule l’aide mensuelle de 175 $ que sa fille lui donne pour payer sa passe d’autobus et une épicerie. Cette aide dépasse les 100 $ de dons autorisés.
Jean-Paul a perdu son emploi à 62 ans, parce que l’entreprise où il travaillait a fermé ses portes. Incapable de retrouver du travail, il a demandé des prestations d’aide sociale. Il a l’obligation de retirer sa rente du Régime de rentes du Québec (RRQ) : non seulement reçoit-il une rente réduite, puisqu’il la retire avant ses 65 ans, mais celle-ci est aussi déduite de ses prestations d’aide sociale.
Joanie a travaillé pendant 15 ans et souffre d’une dépression majeure. Elle devra épuiser presque toutes ses économies avant d’être admissible à l’assistance sociale.
Anna a pris la décision de ne pas cohabiter avec son conjoint, car elle aurait vu ses prestations d’aide sociale amputées.
Serge peine, depuis des années, à faire reconnaître ses problèmes de santé mentale comme une contrainte sévère à l’emploi. Incapable de travailler, il reçoit malgré tout la prestation destinée aux personnes considérées « sans contraintes à l’emploi ».
Julien occupe un emploi à temps partiel. Il dépasse régulièrement de quelques dollars le montant maximal des revenus d’emploi autorisés (200 $). Le montant excédentaire est alors retranché de ses prestations du mois suivants.
La pauvreté comme incitatif au travail
Depuis toujours, le gouvernement maintient le montant des prestations très bas pour inciter les personnes assistées sociales à trouver un emploi. Ce choix politique est contraire à l’application du droit à l’assistance et à la sécurité sociale basée sur des principes de dignité, de liberté de choix et de participation entière à la vie collective.
Pour avoir accès à l’aide sociale, il faut d’abord :
- Avoir épuisé toutes les formes d’aide financière existantes :
- assurance-emploi,
- indemnités de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail,
- indemnités de la Société de l’assurance automobile du Québec,
- rentes du Québec,
- etc.,
- pratiquement vider son compte bancaire (une personne seule ne peut posséder que 887 $ en liquidités)
- et dilapider ses avoirs.
La loi du mérite
Les programmes d’assistance sociale favorisent implicitement la distinction entre « bons pauvres » et « mauvais pauvres ». Selon cette logique, les « bons pauvres » ont des contraintes à l’emploi; les « mauvais pauvres » n’ont pas de contraintes. Les bons participent aux mesures d’employabilité; les mauvais n’y participent pas.
Les personnes sans contraintes à l’emploi sont généralement perçues comme moins méritantes que celles avec contraintes.
Programme d’aide sociale
- pour les personnes considérées sans contraintes à l’emploi
- pour les personnes avec des contraintes temporaires à l’emploi
Prestations mensuelles
726 $ : personne seule sans contraintes à l’emploi
870 $ : personne seule avec contraintes temporaires à l’emploi
1099 $ : deux adultes sans contraintes à l’emploi
1347 $ : deux adultes avec contraintes temporaires à l’emploi
Programme Objectif emploi
- aide financière pour les personnes qui font une première demande au Programme d’aide sociale
- vise l’intégration au marché du travail et l’autonomie financière
- incitatifs financiers si le plan d’intégration est respecté
- sévères pénalités, jusqu’au tiers du montant des prestations, pour des manquements au plan d’intégration
Prestations mensuelles
726 $ +
- 60 $ par semaine pour le développement des compétences ou
- 70 $ par semaine pour la recherche active d’emploi ou
- 70 $ par semaine pour le développement des habiletés sociales
Programme de solidarité sociale
Pour les personnes ayant des contraintes sévères à l’emploi :
- découlant d’une maladie chronique ou d’un état physique ou mental qui est déficient ou altéré et dont les caractéristiques socioprofessionnelles (études et expériences de travail) limitent leurs possibilités d’accéder à un emploi
- pour une durée permanente ou indéfinie
Prestations mensuelles
1138 $ : personne seule avec contraintes sévères
1400 $ : personne seule avec contraintes sévères de longue durée
1675 $ : deux adultes avec contraintes sévères
1774 $ : deux adultes avec contraintes sévères de longue durée
Source : Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, janvier 2022
Témoignage
« Il y a un manque de flexibilité : je ne réponds pas aux critères; "il faut que vous ayez 50 ans, il faut que vous ayez 55 ans, vous êtes trop riche, vous êtes trop pauvre… Vous êtes malade, vous êtes trop en santé". L’accès aux "services" [liés aux programmes d’assistance sociale], c’est une CATASTROPHE. »
Un dédale administratif
Modification et accumulation des règles; absence de vulgarisation pour aider le plus grand nombre à les comprendre : les règles qui entourent le versement des prestations d’assistance sociale sont difficiles à suivre…
Vous en doutez? Jetez un coup d’œil au site Web gouvernemental de chaque programme.
Règles absurdes en jargon administratif
Arrivez-vous à comprendre ces règles de calcul des prestations?
55. La prestation accordée à l’adulte seul ou à la famille est établie, pour chaque mois, en considérant sa situation au dernier jour du mois précédent. Elle est égale au déficit des ressources sur les besoins calculés en effectuant les opérations suivantes :
1° déterminer le montant de la prestation de base qui lui est applicable et, conformément au règlement, l’augmenter, s’il y a lieu, du montant de l’allocation pour contraintes temporaires, du montant des ajustements pour adultes, du montant de l’allocation de soutien accordé en application du chapitre I du titre I, du montant des ajustements pour enfants à charge et du montant des prestations spéciales;
2° soustraire du montant obtenu en application du paragraphe 1°, sauf dans la mesure où ils sont exclus par règlement, les montants suivants :
a) les revenus de travail et de biens qu’au cours du mois précédent l’adulte seul ou les membres de la famille ont gagnés ainsi que les gains et autres avantages de toute nature qu’ils ont réalisés;
b) au cours de la période déterminée par règlement, les prestations non encore réalisées que l’adulte seul ou les membres adultes de la famille ont le droit de recevoir à la suite d’une cessation de travail en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (L.C. 1996, c. 23) ou qu’ils ont choisi de recevoir en vertu de la Loi sur l’assurance parentale (chapitre A-29.011);
c) jusqu’au moment où l’adulte seul ou les membres adultes de la famille pourraient être déclarés admissibles à des prestations en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, les revenus de travail que ces personnes qui ont perdu leur emploi du fait d’un arrêt de travail dû à un conflit de travail et qui, pour ce motif, ne pouvaient être ou n’ont pas été déclarées admissibles à des prestations en vertu de cette loi, auraient autrement gagnés au cours du mois précédent;
d) les avoirs liquides, au sens du règlement, que l’adulte seul ou les membres de la famille possèdent au dernier jour du mois précédent;
e) le montant obtenu en appliquant le pourcentage déterminé par règlement à la valeur des biens que l’adulte seul ou les membres de la famille possèdent au dernier jour du mois précédent, déterminée selon la méthode prévue par règlement, sans tenir compte toutefois des biens qui ne peuvent être aliénés en raison d’un empêchement légal qui échappe à leur contrôle;
f) le montant déterminé à titre de contribution parentale selon la méthode de calcul prévue par règlement, durant les trois années qui suivent la première des dates suivantes:
i. la date à laquelle l’adulte qui est réputé recevoir une contribution parentale a reçu une première prestation en vertu d’un programme d’aide financière de dernier recours ou du Programme objectif emploi;
ii. la date à laquelle il y aurait été déclaré admissible n’eût été des revenus nets de son père et de sa mère considérés dans l’établissement de cette contribution.
En outre, lorsque le montant obtenu en application du premier alinéa est supérieur à zéro, la prestation est augmentée, dans les cas et aux conditions déterminés par règlement, d’un supplément aux revenus de travail dont le montant est calculé conformément à la méthode qui y est prévue.
*Source : Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, article 55